Données de santé en Afrique : enjeux stratégiques, risques et bonnes pratiques
Retour sur l’atelier organisé en marge du forum InCyber

Le 1er avril 2025, lors du Forum InCyber à Lille, le cabinet Pledge Avocats a accueilli un atelier organisé par Africa Data Protection sur les données de santé en Afrique. Pendant 45 minutes, les échanges ont réuni Amélé Florence Kouvahe (consultante en stratégie Innovation santé), Benjamin Guinhouya (professeur en épidémiologie médicale) et Sofia El Mrabet (avocate chez Pledge Avocats), sous la modération de Sohail Nourestani (responsable consulting stratégique santé numérique chez Eurasanté).
Ils ont mis en lumière les opportunités offertes par le numérique pour la santé en Afrique, mais aussi les freins structurels freinant son adoption à grande échelle.
Un paysage encore fragmenté, malgré des avancées
La digitalisation des données de santé en Afrique progresse, mais reste inégalement répartie entre les pays. De nombreux États ont amorcé la transition vers des systèmes numériques, souvent à travers des projets pilotes centrés sur des pathologies spécifiques comme le VIH, la tuberculose ou le paludisme. Toutefois, peu d’entre eux disposent aujourd’hui d’un système national de données de santé entièrement structuré, interopérable et durable.
Les obstacles sont nombreux : fragmentation des systèmes d’information, absence de normes partagées, faiblesse des infrastructures numériques, manque de formation du personnel de santé et défi de la confiance dans les outils technologiques. En parallèle, la lenteur de certaines réformes juridiques empêche une généralisation des bonnes pratiques en matière de gouvernance de la donnée.
Vers un cadre règlementaire plus robuste
Face aux défis actuels, l’instauration de cadres juridiques solides et protecteurs devient une nécessité incontournable. Il est essentiel de mettre en place une règlementation pour encadrer l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle et des systèmes de traitement automatisé dans le secteur de la santé. Cette règlementation doit non seulement garantir la protection de la vie privée des utilisateurs, mais aussi veiller à l’équité d’accès aux technologies et à la souveraineté des données, des enjeux cruciaux dans un contexte où les données de santé sont de plus en plus sensibles et partagées à l’échelle mondiale.

En Afrique, 41 pays ont déjà adopté des lois sur la protection des données, un signe fort de la prise de conscience croissante de l’importance de protéger les informations personnelles dans un contexte numérique. Une règlementation bien conçue ne doit pas être perçue comme un obstacle, mais comme un levier stratégique. Elle peut en effet favoriser un environnement de confiance, indispensable pour les citoyens, les professionnels de santé et les investisseurs. En assurant une gouvernance claire et transparente, la règlementation permet de rassurer les parties prenantes, d’attirer les investissements nécessaires à l’innovation, et d’accélérer ainsi l’adoption des solutions numériques, tout en préservant des principes éthiques et de sécurité essentielle.
Des opportunités concrètes à saisir
Malgré les difficultés, les opportunités sont bien réelles. Plusieurs pays africains expérimentent déjà des approches innovantes : dossiers médicaux électroniques, plateformes d’assurance santé mobile, surveillance épidémiologique en temps réel, télémédecine ou encore usage des drones pour la logistique médicale. L’implication croissante des opérateurs télécoms et des fintechs, particulièrement dans les solutions de e-santé via le mobile, représente également un facteur clé d’accélération.
L’intelligence artificielle et les technologies de traitement de données massives ouvrent quant à elles de nouvelles voies pour améliorer les diagnostics, suivre les épidémies en temps réel ou encore orienter les politiques publiques de santé.
Des solutions concrètes existent déjà pour répondre à des enjeux de santé publique majeurs. Pour répondre aux défis de santé maternelle et infantile, le programme IeDA (Integrated e-Diagnostic Approach), développé d’abord au Burkina Faso et étendu à d’autres pays depuis, aide les agents de santé primaires à améliorer la qualité du diagnostic et de la prise en charge des enfants et des mères, MomConnect en Afrique du Sud permet d’enregistrer les grossesses à l’échelle nationale et d’envoyer des messages de santé personnalisés aux femmes enceintes, contribuant à un meilleur suivi prénatal et le programme MOTECH, au Ghana, relie les services de santé communautaire à des plateformes mobiles pour renforcer le suivi des soins maternels et néonataux.
Enfin, AVADAR, mis en œuvre dans plusieurs pays africains, permet une surveillance en temps réel de la poliomyélite, en mobilisant les communautés locales à l’aide d’outils numériques.
Exploiter pleinement le potentiel des données de santé : les recommandations

Tirer pleinement parti des données de santé suppose de s’appuyer sur une base solide, fondée sur l’interopérabilité des systèmes, le renforcement des infrastructures, le développement des compétences et la promotion d’une culture de la donnée auprès de tous les acteurs.
Dans ce contexte, la souveraineté numérique en santé constitue, un enjeu clé : elle permet de structurer durablement les écosystèmes de soins, de soutenir la décision publique et de garantir un usage éthique, sécurisé et pertinent des données de santé.
Dans cette perspective globale, plusieurs leviers doivent être activés :
- Définir des cadres politiques et réglementaires clairs ;
- Élaborer des stratégies nationales de santé numérique cohérentes ;
- Renforcer les infrastructures des établissements de santé ;
- Garantir la sécurité et la confidentialité des données ;
- Encourager les partenariats public-privé ;
- Mettre en place des modèles de financement durables ;
- Investir dans la formation et la montée en compétences des professionnels de santé.
A propos de l’auteure de l’article : Sofia El Mrabet est avocate spécialisée en Tech et Fintech. Elle accompagne depuis plus de 10 ans les entreprises européennes et africaines sur les enjeux stratégiques liés à ces sujets.
